Consultant en stratégie et organisation pour un grand cabinet durant une dizaine d’années, Stéphane Zanella a poursuivi sa carrière dans le secteur du vin.
Au cours des sept dernières années, il a pris la tête du Club Français du Vin, puis la société Henri Maire, avant d’occuper le poste de directeur général d’Inter Caves. Nous l’avons rencontré à Boissy-Saint-Léger, au siège de l’enseigne.
Pourquoi La Maison Richard s’est-elle intéressée au rachat de l’enseigne Inter Caves ?
La branche « Vin » de la Maison Richard travaille les mêmes produits, le vin et les spiritueux, et pratique le même métier que le réseau Inter Caves : la distribution sélective à travers un réseau de prescripteurs.
Elle a été fondée en 1892, démarrant comme négociant en vins vendus en vrac dans les bistros parisiens, avec une diversification progressive dans l’univers de l’hôtellerie-restauration et la vente en bouteille consignée.
A partir des années 60, elle a développé deux nouvelles activités.
D’une part, la production de vin en propre, avec huit domaines viticoles dans le Bordelais, le Beaujolais et la Vallée-du-Rhône et 600 hectares de vigne qui représentent plusieurs millions de bouteilles.
D’autre part, le métier de grossiste de vins en bouteilles de vignerons et de négoce de qualité, avec une distribution presque exclusivement réservée à la région parisienne soutenue par une logistique de 80 camions en propre.
Dans quelle stratégie commerciale s’inscrit ce rachat ?
Par ces différents canaux de distribution, nous nous adressons au même client et à deux moments de consommation : chez le restaurateur avec La Maison Richard et à son domicile avec Inter Caves. Il y avait donc un vrai intérêt marketing, en étant précurseur sur les modes de consommation perçus en avance au comptoir et répercutés pour les points de vente du réseau de cavistes.
Le rachat entre dans une logique de partage et de capitalisation sur certains produits, tout en préservant la différenciation des métiers. Cette synergie entre les deux activités est matérialisée par le fait que Corinne Richard-Saier, co-dirigeante de la Maison Richard, en charge du développement et de la communication, soit aussi présidente d’Inter Caves.
D’autre part, on boit mieux mais moins dans les restaurants, en particulier le midi, en raison notamment des campagnes contre l’alcool au volant. La croissance sur ce marché du CHR – Café, Hôtellerie, Restauration - se fait aujourd’hui par des gains de parts de marché, pas par une augmentation de la consommation. Il y a donc également une logique évidente de diversification stratégique pour le groupe.
Ce rachat, a-t-il été vécu comme un phénomène de concentration au sein du secteur du vin ?
Dans la distribution de vins pour une consommation à domicile, les grandes surfaces sont passées en vingt ans de 50 à 85% de parts de marché, quand dans le même temps les cavistes régressaient de 20 à 7%.
Mais avec le besoin de conseils, de repères et d’authenticité du consommateur, les grandes surfaces ont atteint un certain plafond tandis que les cavistes, offrant un bon rapport qualité/prix, retrouvaient une deuxième jeunesse, avec une croissance de leurs ventes de 6 à 7% depuis quelques années et un taux d’implantation en progression de 50% au cours des dix dernières années. La croissance chez les cavistes est saine, il ne s’agit pas d’une bulle.
On compte aujourd’hui un peu moins de 6000 cavistes indépendants, dont 20% sont en réseau. Inter Caves est le deuxième réseau en taille, avec 123 points de vente. En prenant 2% des indépendants en réseau, notre rachat n’a pas été vécu comme un phénomène de concentration, défavorables aux producteurs de vin, aux fournisseurs ou aux partenaires d’Inter Caves. Il a été bien compris comme entrant dans une logique dynamique de développement au sein d’une entreprise familiale.
Comment avez-vous procédé pour le rachat ?
Nous avons étudié le réseau comme clients-mystères dans les magasins Inter Caves. Nous avons immédiatement ressenti que le réseau était constitué de cavistes chaleureux, compétents et passionnés, et qu’il n’était surtout pas une chaîne standardisée. Ce qui nous a d’ailleurs rapidement amené, dans les améliorations apportées au concept, à faire incarner chaque point de vente par son gérant en affichant son portrait en pied dès l’entrée du magasin. Inter Caves était en quelque sorte « La Belle Endormie », avec beaucoup de potentiels inexplorés.
Nous avons aussi constaté un réseau en attente de changement, presque une impatience. Depuis plusieurs années, Jacques Esnault, le fondateur historique, à la tête d’Inter Caves depuis 1978, avait pris une certaine distance en déléguant l’opérationnel. Le rachat a été vécu comme un soulagement. La pérennité du réseau était assurée, et le repreneur était un professionnel du métier, et même, une entreprise familiale. Pas un fonds d’investissement !
Le rachat s’est opéré le 1er avril 2011. Nous avons rencontré immédiatement 90% du réseau au cours de quatre réunions régionales, réalisées pour expliquer notre projet et les opportunités pour les partenaires indépendants de l’enseigne. Lesquels nous ont plutôt bien accueillis.
Quels étaient les besoins de changement ?
Déjà, repenser nos gammes avec plus de logique et développer certaines familles de produits. Bien que ce travail soit encore à compléter, nous proposons aujourd’hui 450 références de vin, 350 pour les alcools et bientôt 120 pour les bières, ce rayon ayant été relancé dernièrement.
Nous travaillons également sur l’extension de notre offre en épicerie fine à des tapas et des produits d’apéros dinatoires, un complément de ticket intéressant, notamment parce qu’il est susceptible de générer de la revisite.
Ensuite, recréer un vrai lien entre la tête de réseau et les partenaires, en étant légitimement à leur écoute. Dans un contrat de partenariat, il faut être beaucoup dans la persuasion et la séduction avec des indépendants et pas simplement dans une logique d’imposer les choses, comme pour les faire adhérer à notre nouvelle identité visuelle. Avant notre rachat, la dernière Convention Nationale datait… de 2008.
Dans ce qui est perçu comme une rupture culturelle, nous réalisons désormais deux Conventions Nationales par an, pour présenter à la fois nos produits et nos projets pour le réseau.
La première a eu lieu en septembre dernier dans une propriété familiale de La Maison Richard, au château de Corcelles en Beaujolais, la dernière en mars 2012 en région parisienne.
Quels chantiers restent à réaliser ?
Nous continuons d’approfondir la stratégie marketing et commerciale, notamment pour travailler le fichier de client à travers des SMS et des emails, et non plus seulement par le support papier comme c’est le cas aujourd’hui.
Nous réfléchissons aussi à un site Internet marchand, un domaine où il y a beaucoup d’acteurs mais dont peu gagnent de l’argent. La vente de vins à distance rencontre deux problématiques particulières : les produits sont lourds à transporter et les marges ne sont pas très élevées. Il y a un sens théorique à ce que le réseau Inter Caves investisse ce canal, car 90% de la population française n’est pas couverte par nos points de vente physique.
Mais dans le même temps, il faudrait mettre des moyens financiers pour nous faire connaître sur Internet et adopter une politique de prix différente, puisque la logistique à mettre en place serait différente de celle du réseau physique. La question n’est donc pas tranchée.
Comment les partenaires d’Inter Caves ont vécu le changement à la tête du réseau ?
Nous n’avons enregistré que quelques départs, plutôt mécaniques car en fin de contrat. Mais nous avons réussi à conserver des partenaires indépendants du réseau parmi les plus contestataires envers la précédente équipe dirigeante, qui avaient envie de quitter l’enseigne.
La frustration accumulée des années précédentes a exigé de notre part une réponse rapide. Parmi les nouveautés, nous avons engagé deux animateurs « produits », chargés toutes les six semaines de faire des dégustations de références pour les cavistes et de les aider ainsi à construire leur gamme, sans absence ni surreprésentation.
Le secteur du vin est très dépendant des préférences régionales, ce qui appelle une personnalisation du point de vente en fonction de sa localisation et des affinités du caviste, tout en respectant les impératifs contractuels d’approvisionnement auprès de la Centrale Inter Caves.
D’autre part, notre contrat de partenariat, à mi-chemin entre licence de marque et franchise, n’implique aucun transfert de savoir-faire. En revanche, nous proposons une assistance permanente, dont un cycle de formation initiale que nous avons allongé d’une semaine, un accompagnement à l’ouverture et un suivi tout au long du contrat, avec des animateurs régionaux amenant une analyse du marché et des facteurs de progrès dans la gestion du point de vente, ainsi que les animateurs produits évoqués précédemment.
Quels sont vos objectifs à moyen terme pour Inter Caves ?
Nous comptons atteindre les 200 magasins dans cinq ans, avec un rythme d’ouverture annuel d’une quinzaine de points de vente.
Nos partenaires, actuels et futurs, doivent aussi vivre de mieux en mieux de leur commerce. Ce que nous devons permettre en améliorant progressivement leur marge à travers les conditions d’achat et en leur fournissant des outils toujours plus performants pour générer davantage de trafic en magasin.
Propos recueillis par François Simoneschi